Le pot étant particulièrement bon ce matin, je fus prise d’une fringale irrésistible qui m’a entraînée, pour la première fois en dix ans, au bureau de vote de mon quartier où par le plus curieux des hasards se déroulait une élection fédérale.
Le gentil scrutateur était si occupé à draguer sa collègue qu’il n’a même pas remarqué que je suis passée de l’isoloir à la sortie sans passer par l’urne. Une fois à l’extérieur, je me suis assise sur un banc, j’ai placé mon bulletin de vote dans un pita, j’ai ajouté du hummus et de la laitue et j’ai dégusté mon sandwich électoral, sous l’œil éberlué de la journaliste de Radio-Canada qui, comme par hasard, faisait un vox pop à deux pas de moi.
LA JOURNALEUSE. — Excusez-moi madame, mais qu’est-ce que vous faites ?
MOI. — Je mange mon bulletin de vote. En sandwich.
LA JOURNALEUSE. — C’est une manifestation ?
MOI. — C’est un repas.
LA JOURNALEUSE. — Et c’est bon ?
MOI. — Le goût est amer, mais beaucoup moins que si je l’avais déposé dans l’urne.
LA JOURNALEUSE. — C’est donc une manifestation.
MOI. — Je ne fais que mon devoir de citoyenne : j’utilise mon bulletin de vote de la façon la moins dommageable pour la société. Et en plus, j’ajoute des fibres à mon alimentation. Qui dit mieux ?
LA JOURNALEUSE. — Vous ne respectez pas la démocratie…
MOI. — C’est parce qu’elle ne me respecte pas. Je la bouffe avant qu’elle ne me bouffe.
LA JOURNALEUSE. — Ne pensez-vous pas que le droit de vote est précieux ? Que bien des peuples au monde seraient prêts à mourir pour l’obtenir ?
MOI. — Comme disait Bukowski, la difference entre la démocratie et la dictature, c’est qu’en démocratie, tu commences par voter et on te donne des ordres après, tandis que la dictature te permet de gagner du temps en te dispensant d’aller voter…
LA JOURNALEUSE. — Je ne crois pas que ce soit légal d’agir comme vous le faites.
Le pire, c’est qu’elle a raison. En effet, selon l’article 167-2-a de la loi électorale canadienne, il est interdit, sous peine de prison de trois ans et cinq mille dollars d’amende (sic!), « de détériorer, altérer ou détruire volontairement un bulletin de vote ou le paraphe du scrutateur qui y est apposé ». Ne vous surprenez donc pas si vous apprenez que les flics d’Élections Canada m’ont épinglée pour blasphème envers un papier sacré.
Parce qu’il en va du bulletin de vote comme de l’hostie : il ne faut pas mordre mais avaler sans rien dire.
A .A .prof au Québec